Il faut saluer l’exploit. Dans un monde où l’information circule à la vitesse de la lumière, le Sénégal a trouvé la formule magique pour ralentir le temps : il suffit d’arrêter un homme de media. Abdou Guère en a fait l’expérience. Son crime ? Avoir osé exercer son métier. Sa faute ? Avoir cru que la liberté d’expression n’était pas une légende urbaine.
Accusé de « diffusion de fausses nouvelles » le chef d’inculpation préféré des régimes qui ont peur de leur ombre, le chroniqueur a été placé sous mandat de dépôt. On aurait pu débattre avec lui, lui répondre, démonter ses propos si nécessaires. Mais non. Le réflexe est immédiat, pavlovien : on embastille, on neutralise, on fait taire ou mieux encore : « ON EFFACE ».
Le Sénégal, ce pays où l’on vote à heure fixe, où les constitutions sont modulables à souhait et où la presse est tolérée tant qu’elle ne dérange personne, renoue avec ses vieux démons. Plus besoin de torture ni de coups d’État. Il suffit d’un bon vouloir, d’un procureur, d’un juge pour faire de la prison le nouveau salon de presse.
Mais ne nous méprenons pas : nous ne sommes pas en dictature. Non, nous sommes dans une démocratie innovante, où les libertés sont gérées comme des stocks de riz : distribuées à petites doses, selon les saisons et les intérêts.
Pendant que certains médias chantent les louanges du régime, d’autres journalistes et chroniqueurs, comme Abdou Guère, paient le prix fort de leur indépendance. Mais après tout, que vaut une vérité qui n’a pas reçu l’aval du tout puissant et indestructible
Et que dire de ce peuple qu’on infantilise à longueur de discours, qu’on veut protéger des « fausses nouvelles » comme on protège un enfant du feu ? Le citoyen sénégalais serait-il incapable de discernement ? Trop naïf pour comprendre les nuances ? Ou simplement trop dangereux lorsqu’il pense par lui-même ?
Dans ce pays qui n’est officiellement « ni en guerre, ni en crise », les journalistes deviennent des menaces pour la sécurité nationale. Les mots sont des armes, les tweets des bombes à retardement. Il suffit désormais d’un post Facebook pour risquer la cellule.
Alors bravo ! Bravo pour cette gouvernance de l’intimidation, pour cette république du soupçon, où l’on préfère verrouiller les bouches plutôt que d’ouvrir le débat. Le Sénégal n’avance pas à reculons : il court, les yeux bandés, vers l’abîme.
Et pendant ce temps, Abdou Guère attend. Derrière les murs d’une prison, symbole d’un pays qui a troqué la justice pour le silence.
Serigne Issa DIOP
Président REPERES