Doyen d’âge de la nouvelle Législature, Alla Kane présidera la cérémonie solennelle d’élection du nouveau président de l’Assemblée nationale. Enseignant de formation, le néo-député de 87 ans, un des pionniers du Parti africain de l’indépendance (Pai), a été radié de la fonction publique. Portrait!
Originaire de Gatte, dans la région de Diourbel, Alla Kane se revendique de paysan. « Ma conviction est que je suis et reste un fils du peuple, quand on sait qu’en 1936, les paysans constituaient plus de 90 % de la population de notre pays », a-t-il indiqué au Soleil. Selon lui, à cette condition de fils du peuple s’ajoutait son statut de sujet français jusqu’en 1946, date d’adoption de la loi Lamine Guèye du 7 mai 1946, accordant la citoyenneté à tous les habitants de la République française. Mais deux années plus tôt, ce jeune Baol-Baol avait tracé son histoire avec le français. Il a été inscrit par son père, en octobre 1944, à l’école régionale de Diourbel. « Ce chemin allait me mener à la compréhension de la réalité de la domination de mon peuple et à l’ouverture aux enjeux du monde et des voies de libération des peuples contre l’oppression et l’exploitation étrangères », est-il convaincu.
À la fin du cycle primaire, il passe au cycle secondaire, après son admission au Collège moderne de Thiès. Après l’obtention du Brevet d’études du premier cycle (Bepc) 4 ans plus tard, le brillant élève est admis à l’École des travaux publics de Bamako en 1954. C’est le début d’un premier challenge. Mais la nature en a décidé autrement. En effet, en raison d’une maladie prolongée après l’ouverture de l’année scolaire 1954/1955, il n’a pas pu regagner la capitale malienne.
Mais Alla ne désespère pas. Il s’oriente immédiatement vers l’enseignement. Nous sommes en 1955. Il sert d’abord à Goudiry, Saraya, puis à Kidira avant de rejoindre sa région natale, Diourbel.
Formation militaire à Cuba
Il faut tout de même signaler que tout n’a pas été rose dans la courte carrière d’enseignant de cet originaire de Bambey. Car, se rappelle-t-il, son entrée en fonction a correspondu à une période d’accélération de l’histoire, celle de l’engagement de la lutte par les pays colonisés pour le recouvrement de leur indépendance : la défaite de l’armée française à Dien Bien Phu au Vietnam, en Asie ; le soulèvement armé du peuple algérien, déclenché le 1er novembre 1954 ; le maquis de l’Union des populations du Cameroun (Upc), dès 1955 ; et les batailles du Rassemblement démocratique africain (Rda), né à Bamako depuis 1946.
Autant de faits qui ont réveillé en lui le sang révolutionnaire et l’ont poussé à se dresser contre ce qu’il appelle les inégalités. Et pour y parvenir, il commence par une lutte syndicale. « J’adhérai au Syndicat unique de l’enseignement laïc (Suel), dirigé par feu Souleymane Ndiaye. En service à Diourbel, j’en étais le responsable régional, ce qui me valut mon élection à la Commission administrative (CA) », confie-t-il, ajoutant avoir adhéré au manifeste du Parti africain de l’indépendance (PAI) en octobre 1957. Ce fut le premier parti politique à poser le mot d’ordre d’indépendance immédiate en Afrique de l’Ouest. « Ma place ne pouvait être ailleurs. Mon camp ne pouvait être que celui de ceux qui s’étaient engagés dans la lutte pour l’indépendance de notre pays. »
Pour M. Kane, ce fut alors le début de son parcours politique, marquant le premier contrat avec son peuple : celui de s’engager dans tous les combats pour sa libération effective. « Fils du peuple, je le suis et entends le rester jusqu’à la fin de mes jours. Ce qui explique ma présence sur le terrain de l’action révolutionnaire malgré mon âge avancé ! Agir autrement traduirait une trahison de mon peuple, ce que je ne ferai jamais tant qu’il me restera un souffle de vie », a-t-il insisté.
D’abord simple militant du Pai, il a ensuite contribué à le massifier et à le structurer dans la région de Diourbel, et surtout à former les militants. C’est lui qui a organisé et conduit la bataille du « NON » au référendum du 28 septembre 1958 dans cette partie du pays. Il a eu ainsi une « belle occasion » d’entrer en contact avec les populations et de diffuser largement le mot d’ordre d’indépendance immédiate.
Malgré la dissolution du Pai, début août 1960, il n’a pas voulu baisser les bras. « Nous avons décidé de continuer la lutte dans la clandestinité, car l’indépendance était loin d’être acquise », raconte l’enseignant à la retraite.
Par la force des choses, il s’est retrouvé au cœur de la crise politique de 1962, en ayant subi, d’après lui, « la répression brutale » contre les patriotes et les nationalistes décidés à poursuivre la lutte pour l’indépendance nationale.
Il en veut pour preuve sa première arrestation intervenue en décembre 1961 pour « activité politique troublante », quelques mois seulement avant l’exil de son secrétaire général, Majhemout Diop, à Bamako.
De la clandestinité, il endossera les treillis, mais très loin des frontières sénégalaises. « Parmi les 33 camarades du parti sélectionnés pour un stage de formation militaire à Cuba, notre région comptait 7 représentants. Je suis revenu de cette formation avec le grade de commandant de la zone Ouest du parti », se rappelle-t-il. Cela lui a permis de réussir sa mission principale : installer les bases de l’intervention, essentiellement axée sur la guérilla urbaine.
Radiation de la fonction publique
Cependant, ce militantisme actif n’est pas sans conséquences sur la carrière de M. Kane. Au total, il a été arrêté à deux reprises, ce qui a conduit à sa traduction devant un conseil de discipline et à la révocation de ses fonctions d’instituteur dans la fonction publique.
Selon lui, son adhésion au Pai lui a permis de découvrir la théorie du socialisme scientifique et l’arme du marxisme-léninisme, qui lui ont été d’un apport inestimable dans la conduite de son militantisme. « C’est ainsi que je suis devenu marxiste-léniniste et un militant de la gauche. J’y crois fermement et j’entends le rester tant que mon pays continuera d’être sous la domination de l’impérialisme néolibéral et que mon peuple sera sous le joug de l’exploitation capitaliste et néocoloniale », nous dit-il.
Après des années d’observations, l’enseignant est revenu à la charge. D’abord en intégrant Ndawi askan wi. « Le sens de mon engagement au sein de cette coalition est étroitement lié à mon parcours politique, dont le sens a toujours été et continue d’être la réalisation des conditions d’une libération effective de mon peuple des affres de l’exploitation économique et de l’oppression sociale dont il fait toujours l’objet », confie le « gauchiste ». Il a ensuite intégré le parti politique « Yoonu Askan Wi / Mouvement pour l’Autonomie populaire », l’un des partis de gauche les plus actifs à l’époque, avant de participer à la création du front électoral « Samm linu bokk / Alternative solidaire », composé de sept (7) organisations, dont le Citoyen pour l’éthique et la transparence (Cet), Demain la République, Momsarew, Pastef, Taxaw Temm, et Yoonu Askanwi. C’était en prévision du scrutin législatif du 30 juin 2017.
C’est dans ce contexte qu’il a rejoint l’ancien inspecteur principal des impôts radié, un an plus tard, de la fonction publique, avec qui il a partagé un fort sentiment de nationalisme. En août 2021, son parti « Yoonu Askanwi » de Madièye Mbodj, est fusionné, en compagnie de 13 autres formations, avec Pastef. M. Kane sera, plus tard, coopté au sein du cabinet politique d’Ousmane Sonko et deviendra ensuite le coordonnateur honoraire du mouvement Maggi Pastef, regroupant ses militants du troisième âge.
Aujourd’hui, ce monogame et père de neuf enfants, qui a été au-devant de toutes les batailles politiques et syndicales ayant abouti à l’indépendance, appelle la jeune génération à s’armer d’organisation, de discipline consciente et de combat incessant pour pouvoir sortir le pays de la situation actuelle. Car, le député est convaincu que la lutte pour la transformation réelle de la société est longue, dure et difficile.
Soleil – DakarPress