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Immigration clandestine :« TEKKI MBA DE », le Sénégal perd son espoir (Par Néné Jupiter Ndiaye, Journaliste Sociologue)

Encore des morts en  mer,  plus de 35 personnes ont perdu la vie suite au naufrage de Mbour. Un bilan lourd qui vient s’ajouter à la longue liste de jeunes morts en tentant de trouver l’espoir d’une vie meilleure. Depuis un certain temps, la recrudescence de ce phénomène a fait l’objet de plusieurs débats. D’ailleurs, beaucoup d’études ont été effectuées afin de comprendre le pourquoi de cette récurrence pour sensibiliser davantage et aider à freiner ce phénomène causé par plusieurs facteurs.

 « TEKKI MBA DE » un slogan, voire un sacerdoce pour tous ces jeunes désespérés, en manque de repères et en quête d’opportunités  vers d’autres horizons ; bravant la mer inconsciemment, ignorant (pour certains ) les réalités qui les attendent ou le risque qu’ils encourent. Pour beaucoup d’entre eux, ce rêve de l’Europe, cet espoir de réussir en faisant face á la mort survient en un moment de désespoir face á un manque d’opportunités économiques dans notre pays : taux de chômage persistant, une pression sociale accrue, l’insuffisance des politiques migratoires légales, des mesures conjoncturelles presque inexistantes etc…. 

 Des statistiques assez révélateurs

Selon les recherches, en 2020 plus de 23 000 migrants ont pu atteindre les iles Canaris, soit une augmentation de plus de 750% par rapport à 2019 et avec une majorité composée de sénégalais. Le rapport de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) révèle que plus de 500 personnes ont perdu la vie en mer en 2020.

 Pourtant de 2017 à 2019, des études ont noté une baisse du phénomène par la route de l’Atlantique . C’est à partir de 2020 qu’il a commencé à reprendre son envol. En 2022, sur les 22 000 migrants enregistrés, les sénégalais étaient en nombre assez représentatif avec un pourcentage de jeunes ( 18- 35 ans) assez important. Une situation qui peut être expliqué par un taux de chômage des jeunes élevé  dans notre pays . 

Au premier trimestre 2024, l’Agence Nationale de la Statistique (ANSD) dans sa publication relative à l’Enquête Nationale sur l’Emploi au Sénégal (ENES) relate que le taux de chômage dans notre pays est de 23.2%. Un pourcentage en hausse par rapport à 2023 où le taux était à 21,5%. Un taux plus élevé en milieu rural avec 31, 7%  contre 17, 5% en milieu urbain.   Un taux qui touche plus les femmes avec 36,7% contre 13,3% pour les hommes. Pour les « jeunes NEET », ceux qui ont entre  15-24 ans et qui ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation, représentent 34,4%  de cette tranche d’âge. Un taux plus élevé en milieu rural 43,8% contre 25,5% en milieu urbain. Une situation qui affecte beaucoup plus les jeunes  femmes 43% contre 25,9 des jeunes hommes. 

Le ministère de l’intérieur rapporte qu’en 2020 , 7000 personnes tentant de rejoindre les Iles Canaries ont été interceptées. En 2022, une baisse des départs a été observée suite  aux mesures renforcées de la police maritime et une importante campagne de sensibilisation à cet effet.

En 2023, selon African Center for Strategic Studies, près de 32 000 personnes ont tenté la traversée de l’Atlantique toujours avec un nombre important de sénégalais,  En  février 2024  à Saint Louis, une pirogue transportant environ 300 migrants a chaviré au large de la ville tricentenaire . Le bilan provisoire fait état de 45 victimes, dont 24 décès et 21 blessés, certains dans un état grave. Il est rapporté que plus de 500 arrestations ont été effectuées et la saisie de nombreuses embarcations. Cependant, il est opportun de soulever qu’il est difficile d’avoir des statistiques précises liées aux flux migratoires. Certains naufrages peuvent ne pas être enregistrés ce qui signifie que le nombre de décès peut être supérieur aux taux rapportés ou communiqués.

 Un phénomène, plusieurs facteurs

Mettre le focus sur les dynamiques sociales, culturelles et économiques de ce fait social nous révèle des facteurs socio-économiques notamment la pression sociale, le chômage, l’inégalité sociale etc… Ce n’est pas nouveau puisque beaucoup d’études sociologiques ont évoqué ces facteurs qui sont les suivants : les disparités économiques, la pauvreté et le taux de chômage surtout chez les jeunes qui, dans l’impossibilité d’accéder à des visas légaux ou à des programmes d’immigration régulière ; sont à la recherche de la terre promise, au péril de leur vie. Autres facteurs notés, la pression sociale avec le « TEKKI » (réussir) valeur culturelle intrinsèque, perçue comme un accomplissement personnel et familial ; le rêve de l’Europe avec le phénomène des réseaux sociaux notamment « tik tok », « facebook », « instagram », « snapchat », où des migrants interpellent très souvent leurs compatriotes en les invitant à venir pour une vie meilleure. Il y a lieu de noter également le réseau de passeurs qui sont bien organisés et opèrent en toute impunité, en raison de la faiblesse des contrôles. On peut parler d’une économie de l’immigration irrégulière ou une réalité de traite quoi que fondée sur des transactions irrégulières voire illicites. 

 Un traumatisme collectif

Aujourd’hui, les conséquences sont dramatiques. Beaucoup de familles souffrent de ce phénomène, des membres d’une même famille y ont perdu la vie, la disparition d’un migrant clandestin affecte profondément les familles restées, tant émotionnellement que financièrement, le deuil et l’incertitude quant au sort des disparus créent également un traumatisme collectif. Même ceux qui parviennent à arriver dans les pays de destination sont souvent confrontés à des réalités qu’ils ignoraient. 

Malgré les efforts du gouvernement avec l’aide de la communauté internationale avec  des initiatives de développement et des mesures de contrôle renforcées aux frontières, la pression migratoire reste forte. L’absence d’opportunités économiques pousse encore des milliers de jeunes à prendre des risques considérables pour tenter d’atteindre l’Europe. 

Le gouvernement du Sénégal  gagnerait à s’attaquer aux causes profondes  de ce phénomène en mettant en place une politique basée sur des mesures conjoncturelles.  Des accords bilatéraux et des initiatives de développement, le renforcement des politiques économiques  pour offrir plus d’opportunités aux jeunes  et une campagne de  sensibilisation en permanence á travers une communication persuasive sur les facteurs de risque, autant de mesures qui peuvent  contribuer à atténuer ce phénomène et dissuader les jeunes de prendre des risques qui peuvent leurs couter la vie.

 NENE JUPITER NDIAYE

JOURNALISTE/SOCIOLOGUE

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