Un procureur n’a pas forcément vocation à être un spécialiste de l’audiovisuel, encore moins un scénariste ou un bon metteur en scène. Mais de là à produire un film si mauvais pour justifier l’arrestation d’un opposant aussi populaire, il y a de quoi se poser des questions. Lorsqu’un Etat, à ce niveau, décide de communiquer par un montage vidéo, ça doit être un exemple de professionnalisme. Sans préjuger de la vérité des faits allégués et de la justesse des arguments avancés, le produit doit être de bonne qualité, presque irréprochable.
Pour réaliser un montage qui montre le caractère incendiaire du discours de Sonko, il y avait de la matière à foison. Il est clair que le leader du Pastef n’est pas le meilleur modèle en matière de maîtrise de ses propos. Des dérapages verbaux, il en a commis à gogo. A chaque sortie ou presque, on peut déceler des mots ou phrases qu’un présidentiable ne devrait pas dire.
Le procureur devait donc avoir l’embarras du choix. Il devait fournir un très bon film qui indique à suffisance les manquements de Sonko dans sa communication. Et pourtant, avec ce film, le procureur devient le mieux placé pour remporter le prix Razzie Awards qui récompense chaque année les pires films aux Etats-Unis ou son équivalent en France, les Gérard du cinéma.
En lieu et place des manquements de Sonko, Abdou Karim Diop a dévoilé ses propres ratages au grand public. En effet, au-delà du montage du film, il y a aussi la diffusion. Dans ce tribunal habitué en principe à pareil exercice, le procureur et ses hommes ont été incapables de projeter le film à l’écran, comme prévu. Finalement, la presse a été obligée de braquer les caméras sur l’écran de l’ordinaire censé servir de support.
A tout cela s’ajoute la posture du procureur : incapable de se tenir correctement sur sa chaise. Abdou Karim Diop n’a cessé de bouger, donnant l’impression d’être mal à l’aise dans cet exercice, avec un regard qui semble fuir le public. Après tout ce qui s’est passé au Sénégal ces deux dernières années, si Ousmane Sonko doit être arrêté, le motif doit être solide, à défaut de faire consensus. A la place, le procureur vient affirmer que l’élément déclencheur de l’arrestation de Sonko a été le ‘’vol’’ (sic) d’un portable d’une gendarme. Interdit de rire ! Il y a sans doute là de quoi mettre mal à l’aide le maître des poursuites, instable sur son fauteuil.
Nicola Boileau avait certainement raison de dire : ‘’Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément’’. Avec cette sortie du procureur, on peut le reprendre à l’inverse pour dire que ce que l’on conçoit mal s’énonce confusément et les mots pour le dire arrivent… difficilement !